«Fourchette & Couteau»
Que mangerons-nous à l’avenir, Madame Rützler?
Quelles sont les tendances alimentaires marquantes du moment et leur influence sur les besoins de la clientèle et donc sur la gastronomie?
Nous vivons une période mouvementée qui n’épargne évidemment pas la gastronomie. Nos assiettes reflètent tous les aspects de la vie sociale, les besoins, les valeurs, les aspirations et les problèmes changeants qui se répercutent sur les tendances alimentaires. À mon avis, ces dernières découlent des mouvements de changement et des processus de transformation à long terme dans nos cultures alimentaires. Elles se distinguent donc nettement des modes saisonnières ou des microtendances propagées par les médias, les influenceuses ou les influenceurs.
Depuis quelques années, les tendances reflétant la prise de conscience et le changement des valeurs relatives à notre responsabilité envers la nature sont particulièrement répandues, à l’image des mots-clés crise climatique et biodiversité. Donc toutes les tendances autour des sujets globaux de la durabilité et de la santé. Cela va de «Local et brut» à «Zero Waste», de «Local Exotics» à «Plant-based Food», de «New Glocal» à une tendance que je nommerais «Real Omnivore».
Même si la notion de durabilité est encore abstraite ou vague pour beaucoup de personnes, on peut dire, en s’inspirant de Paul Watzlawick, qu’«on ne peut pas ne pas communiquer» avec des aliments. Proposer uniquement des plats à base de viande ou ne pas fournir d’informations sur la provenance des aliments montre que la durabilité et le bien-être des animaux ne sont pas si importants. Mais il est désormais évident que les efforts pour un avenir meilleur et plus durable se décident aussi dans nos assiettes, surtout chez les jeunes client-e-s qui attendent de la gastronomie qu’elle adapte ses menus en conséquence.
Quelle est l’importance de la tendance New Glocal pour la gastronomie?
Un accent accru sur la saisonnalité et des chaînes d’approvisionnement plus courtes et plus transparentes gagnent en importance, en particulier pour les produits que l’on ne trouve pas dans la région, comme les poissons issus d’un élevage durable ou le riz bio. Ce sont des étapes importantes vers plus de résilience et de durabilité de nos systèmes alimentaires. La restauration haut de gamme compte depuis des années de nombreux représentant-e-s de cette tendance qui misent principalement sur des produits de base régionaux et de saison et transforment uniquement des aliments importés en cas d’absence de produits régionaux. Chaque restauratrice et restaurateur doit sans cesse repenser ce «sens» pour lui-même et être en mesure de le communiquer de manière crédible à sa clientèle.
Quelle importance la clientèle accorde-t-elle à la durabilité?
Dans presque tous les sondages à ce sujet, une grande partie des hôtes exprime le fait que la durabilité est une préoccupation centrale pour eux, même si cela n’est pas facile en période de renchérissement. De mon point de vue, il ne s’agit pas d’économiser en soi, mais de pondérer plus consciemment chaque budget. Dans ce contexte, les cuisinières et cuisiniers et les restauratrices et restaurateurs sont appelés à proposer des offres correspondantes, à adapter leur carte, à créer de nouveaux plats sur la base de produits de base moins chers, mais tout aussi attrayants sur le plan culinaire. En matière de viande, il n’est pas toujours nécessaire de choisir du filet.
Qu’attend concrètement la clientèle qui se rend dans un restaurant qui propose une carte avec de la viande?
Certaines personnes continuent à rechercher de grandes portions et un bon rapport qualité-prix. D’autres personnes amatrices de viande, marquées par les débats de plus en plus éthiques sur la consommation de viande, souhaitent savourer en toute bonne conscience. Une plus grande transparence et plus d’informations dans le sens d’une meilleure valorisation de l’animal entier sont nécessaires. Il faut plus de créativité dans le traitement des abats et d’autres parties des animaux injustement moins appréciées. Les personnes flexitariennes constituent un autre groupe qui ne voit pas d’inconvénient à ce que la viande ne joue qu’un rôle secondaire dans un menu élaboré. À condition que les autres composants du plat ravissent les papilles.
Quelles conditions un menu avec de la viande doit-il remplir pour satisfaire entièrement la clientèle?
Le plaisir va toujours au-delà d’un plaisir purement sensuel. De l’expérience, des connaissances et une attention centrée sont nécessaires pour pouvoir savourer. La viande doit donc aussi être «imaginable», et cela ne sera possible à l’avenir que si elle est produite dans des conditions d’élevage et d’alimentation respectueuses et en valorisant l’animal. En tant que client-e, on se sent tout simplement mieux dans les établissements qui s’inspirent de ces principes de manière créative, authentique et compréhensible.
Comment les restauratrices et restaurateurs peuvent-ils répondre à ces nouveaux besoins? Qu’est-ce qui doit changer?
Les concepts-clés sont la transparence sur l’origine et les conditions de production, l’accent sur une politique d’achat régionale et équitable et l’information à la clientèle sur la «philosophie de l’établissement». Il s’agit d’indiquer les raisons pour lesquelles on a décidé de proposer plus de plats végétariens ou d’augmenter la proportion de légumes par rapport à la viande.
Quelle sera l’importance de la viande dans l’offre gastronomique de demain? Quelles seront les nouvelles opportunités pour la gastronomie?
Au cours de la prochaine décennie, la viande sera confrontée à la concurrence croissante de produits de substitution à base de plantes et de nouveaux produits carnés issus de la culture cellulaire. Dans de nombreuses régions, on se pose la question de savoir où et quel type de production de viande aura un sens à l’avenir. Pour les régions alpines, la réponse semble évidente: des bovins et des moutons y sont nécessaires pour entretenir les prairies, stabiliser le sol, favoriser la diversité des herbages et préserver ainsi un paysage culturel séculaire. La question de savoir quelles races et avec quelle intensité nous voulons élever ces animaux reste ouverte. Mais dans ce domaine également, la solution résidera dans la diminution de la production et la concentration sur une meilleure qualité d’élevage et de préparation.
Hanni Rützler
est née en 1962 à Bregenz. Elle a étudié l’écologie à la Michigan Technology University, aux États-Unis, ainsi que la nutrition, la sociologie et la psychologie à l’Université de Vienne. Parmi de nombreuses autres fonctions, elle est depuis 2004 conférencière du Zukunftsinstitut à Vienne et à Francfort et depuis 2014 membre du jury du Zukunftspreis de l’Internorga – le salon de la gastronomie et de l’hôtellerie à Hambourg. En collaboration avec le Zukunftsinstitut, elle rédige chaque année depuis plus de dix ans le «Food Report», considéré comme une publication d’avant-garde pour le commerce et la gastronomie.